Utiliser Twitter en historien-ne ?

par Sébastien Poublanc *

Ah, les réseaux sociaux ! Que l’on soit un fervent partisan de leur utilisation, qu’on les délaisse sciemment ou qu’on les haïsse cordialement, ils ne laissent personne indifférent. Malgré ce statut, ils sont quasiment absents dans l’évocation de nos pratiques de recherche. Facebook,  Twitter, mais aussi Academia, ResearchGate… sont pourtant à la disposition des historiens qui les utilise de manière très empirique.

Je ne ferai pas ici le compte des avantages et des inconvénients de chacun ; je ferai au contraire un retour d’expérience basé sur l’un d’entre eux – Twitter – afin de s’interroger sur la place qu’on peut lui accorder dans nos pratiques.

Twitter, qu’es aquò ?

Dressons un portrait à gros trait de l’objet et de son utilisation : Twitter est un réseau social permettant de publier de brefs messages de 140 caractères – les tweets. À la différence de Facebook, le réseau est ouvert : les messages de ses membres sont par défaut visibles par l’ensemble des usagers. Cette caractéristique constitue sa plus grande force : un moteur de recherche (celui de l’entreprise, puis de Google depuis août 2015) permet de retrouver des informations sur un sujet donné.

La brièveté du contenu impose l’utilisation de phrases concises, alliant une brève description de l’objet tweeté (article, billet, podcast, image…) à une URL de renvoi et quelques mots-clefs :

Lors de débats ou d’évènements, l’adjonction d’un hashtag (marqueur de contenu commençant par un #) catégorise le tweet avec un mot-clé partagé, par exemple #Loisanté :

Si la majorité des tweets n’a pas de destinataire précis et a pour but de partager une information, il est aussi possible de s’adresser directement à un compte personnel. Dans ce cas, le tweet contient la mention du compte utilisateur : il s’agit d’un nom précédé d’arobase, par exemple @historienumeriq dans mon cas.

L’utilisateur est alors notifié de la mention et peut répondre à l’expéditeur du tweet. Enfin, à l’instar de Facebook, il est à présent possible d’intégrer différents médias dans son tweet : images dans lesquelles les utilisateurs peuvent être mentionnés, vidéos, gifs animés etc.

Réseau social, Twitter place au cœur de son utilisation les interactions entre usagers. Chaque utilisateur est libre de s’abonner (follow) aux comptes de personnes dont les centres d’intérêts rejoignent les siens et réciproquement. L’ensemble des publications effectuées par ces abonnements constitue la timeline

Timeline

La compréhension de ces subtilités constitue le premier pas vers la maîtrise d’un outil au premier abord peu engageant.

La twittosphère et l’historien (à quoi ça sert ?)

Pour les pratiquants des humanités numériques, l’utilisation de Twitter fait partie des pratiques de recherche. La lecture d’un article, d’un billet de blog, d’une vidéo etc. est l’objet d’un partage sur le réseau ; une recherche sur un sujet précis amène à interroger le moteur de recherche ; un séminaire, un colloque voit ses participants interroger la communauté des twittos pour savoir qui s’y rend ; enfin, la conférence proprement dite fait l’objet d’un « off » parallèle à chaque communication : commentaires, échanges d’URL et de références participent autant à la sociabilité de la rencontre que les discussions IRL – in the real life. Twitter permet en plus d’intégrer au groupe participant à l’évènement les « tweetos » absents, augmentant d’autant la taille du réseau de sociabilité potentiel. Ces pratiques sont-elles transposables aux modes classiques de communication en histoire ?

Utiliser Twitter dans sa pratique d’historien procure deux avantages. L’aspect social du réseau permet d’abord de contacter les personnes intéressées par des sujets proches du nôtre, en France comme à l’étranger : associations mémorielles, centres d’archives, simples passionnés, projets collectifs mais aussi chercheurs de tous poils. Pour les juniors (étudiants de master, doctorants, jeunes docteurs), cette caractéristique est essentielle : elle brise le « plafond de verre » académique qui les sépare des chercheurs permanents. L’utilisation confidentielle du réseau au sein du microcosme académique fait de Twitter un tout petit monde aux règles de sociabilités moins rigides – la Netiquette, ensemble de règles tacites régissant les interactions sociales :

TwitterNetiquette

En la respectant, les jeunes chercheurs acquièrent une visibilité sur le réseau et se font connaître. Ils développent ainsi une sociabilité numérique aux conséquences bien concrètes : invitations dans des manifestations scientifiques, sollicitations d’articles etc.

Le second avantage du réseau réside dans sa communauté. Par habitude, chaque chercheur développe sa veille scientifique en fonction de ses centres d’intérêts : sites divers et variés, revues en ligne, blogs de recherche, chaîne YouTube etc. Glanées à partir d’un flux RSS ou lues lors de sa routine matinale avec son café, le constat est identique : chaque jour, nous visitons nos ressources favorites en lien avec notre objet d’étude.

L’utilisation de Twitter brise ce cercle, puisque chaque usager partage les actualités récoltées lors de sa veille. Au lieu d’avoir des actualités en provenance d’une même origine, suivre un nouveau compte permet de découvrir de nouveaux sites de référence. Twitter fait donc aussi office d’agrégateur pour réaliser une veille scientifique large.

Concrètement, comment faire ?

L’utilisation professionnelle de Twitter impose de réfléchir à son identité numérique dans l’optique d’augmenter la taille de son réseau social. Pour cela, il est important de rédiger une brève présentation de ses recherches, accompagnée de hashtags et d’un lien de renvoi vers un CV (fiche annuaire de laboratoire, CV en ligne, Academia, etc.). Toujours dans le souci d’amalgamer réseaux réel et numérique, le choix d’une photo de profil adéquate permet d’être identifié lors des conférences et complète la représentation de notre « nous numérique ».

Une fois le compte Twitter paramétré, il faut ensuite s’abonner aux usagers présentant des profils en lien avec notre objet d’étude. Rien de plus simple : une recherche par mot-clef sur notre objet de recherche indiquera les personnes ayant les mêmes centres d’intérêts. Il est aussi possible de regarder si les auteurs des ressources consultées lors de notre veille ont un compte et de voir qui ils suivent. Complété par la consultation de leurs abonnés, l’ensemble suffit pour commencer.

Parallèlement, il faut construire la crédibilité de son compte en tweetant et retweetant les informations relatives à son objet de recherche. De la même manière, il convient d’interagir avec les autres usagers : seule la constance dans ce processus permet de gagner de nouveaux abonnés et d’être identifié comme le spécialiste d’un sujet donné. Si vous disposez en plus d’un blog où partager vos recherches, vos hypothèses et leurs résultats, vous accentuez d’autant plus votre rayonnement numérique. C’est pour cette raison que de nombreux chercheurs bloguent en parallèle : Twitter et les blogs sont intrinsèquement liés, les billets publiés trouvant naturellement leur public sur Twitter.

Avant de terminer, une dernière indication : pour faciliter le traitement de l’information, sur ordinateur ou sur portable, il est plus facile de se servir d’applications tierces, plus commodes. Il en existe une multitude, mais quelques unes ont la faveur de la communauté. Sur l’ordinateur, Tweetdeck permet d’utiliser plusieurs comptes simultanément, de visualiser les listes d’utilisateurs et de paramétrer les alertes de notification. Sur le téléphone (fonctionnant sous iOS), Twitterriffic  simplifie considérablement l’utilisation de son compte. Enfin, Qureet réalise des résumés journaliers des tweets les plus importants publiés sur votre timeline.

Pour résumer, Twitter est un outil multifonction au service des chercheurs. Bien configuré, il diversifie votre accès aux ressources liées à votre objet d’étude ; utilisé régulièrement, il double votre sociabilité traditionnelle par son pendant numérique.

*L’invité de la boîte à outils :

Sébastien Poublanc

Docteur en histoire moderne au sein du laboratoire Framespa de Toulouse sur Compter les arbres. Une histoire des forêts méridionales à l’époque moderne (sous direction de Sylvie Mouysset et Jérôme Buridant).
Chargé de médiation en Humanités numériques au labex Structuration des Mondes Sociaux. Rédacteur en chef adjoint du magazine Mondes Sociaux Blogue sur http://dighistory.hypotheses.org/ Tweet sous le pseudonyme d’@HistorieNumeriq

 

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Crédit image de une : « taza twitter » by Esther Vargas (en cc sur Flickr)

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