Le 13 mai dernier, une passionnante journée d’études a eu lieu à la KBR – Bibliothèque Royale de Belgique. Organisée par ModerNum, le réseau des modernistes francophones de Belgique, et intitulée « Penser les temps modernes avec les digital humanities », cette journée était structurée en deux « panels ». Le premier était consacré aux « Données » et nous a occupé pour la matinée, tandis que l’après-midi était consacré au panel « Communication ». Le tout se déroulait dans la « SkyRoom » de la bibliothèque.
Paul @medieviz Bertrand introduisait la matinée par une conférence intitulée « Vers une nouvelle critique historique. À propos du traitement numérique des sources anciennes », et Pierre @piotrr70 Mounier ouvrait quant à lui l’après-midi par une conférence intitulée « Traverser les silos : la science ouverte, horizon de l’accès ouvert en sciences humaines et sociales ». Après ces conférences d’ouvertures, chacune des demi-journées a été l’occasion de présentations très riches de projets numériques en histoire : Annick Delfosse nous a présenté EpistolART, Stéphane Demeter le SIG historique de Bruxelles et Wouter Brack le projet Cartésius pour le panel « Données » ; Côté « Communications », Caroline Heering nous a présenté le projet « Cultures du Spectacle Baroque », Nicolas @nsmodernhist Simon est revenu sur le blogging en histoire, tandis qu’Erik Buelinckx nous a présenté BALaT.
J’étais quant à moi chargé de prononcer les conclusions de la journée. L’exercice, gratifiant, n’est pas simple : il s’agissait de proposer quelques réflexions générales tout en partant des interventions de la journée… difficile de se préparer vraiment à l’avance. J’avais donc conçu une trame générale – dont l’idée précise ne m’est réellement venue que vers 2h du matin la veille de l’atelier… – à partir du programme et des brefs résumés des intervenants. C’est cette trame qu’il m’a ensuite fallu enrichir/amender/réduire au fil des exposés. En bref : je ne pense pas avoir déjà été autant attentif sur toute la durée d’une rencontre scientifique !
Vous l’avez donc compris, l’objet de ce billet est donc de partager ici ces réflexions de conclusions en repartant de mes notes.
Je les reprends ici sans trop les modifier, si ce n’est en réintroduisant quelques éléments qui ont sauté à l’oral, et en l’agrémentant de quelques liens et illustrations, et en précisant certains passages afin d’en améliorer éventuellement la compréhension pour celles et ceux qui n’auraient pas eu l’immense chance d’être parmi nous.
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Je tiens d’abord à remercier les organisateurs de la journée de m’avoir invité à prononcer ces conclusions (et en particulier Nicolas Simon d’avoir apaisé mes inquiétudes et répondu à mes multiples questions concernant les attendus d’un tel exercice que je n’avais jamais pratiqué jusque-là). Honoré, je suis aussi et surtout ravi d’avoir à proposer quelques réflexions conclusives d’une journée organisée, certes par une société de modernistes, mais sous le signe d’un dialogue entre périodes, dialogue prenant de surcroît en considération des domaines (trop) souvent traités de façon séparée : la construction et le traitement des données d’une part, la communication et la diffusion des recherches de l’autre.
Si je suis totalement acquis à l’interdisciplinarité, c’est en effet dans l’optique tracée par Bernard Lepetit paru dans la Revue de synthèse en 1990 (et repris dans ses formidables – comme tout ce qu’a écrit Bernard Lepetit – Carnets de croquis) : celle d’une « pratique restreinte ». Ce que l’historien entendait par là c’est qu’une discipline n’est « pas seulement un mode de structuration de la réalité décrite » mais aussi « un métier, c’est-à-dire un ensemble de procédures éprouvées qui constituent une première garantie de discours cohérent ». Ainsi, si le dialogue, les échanges et les pratiques interdisciplinaires sont, à mon sens, indispensables (je me permets de vous renvoyer à ce texte, où je développe quelques réflexions sur ces enjeux), on ne saurait faire l’économie de réflexions sur l’impact disciplinaire des humanités numériques – comme en témoignent, au demeurant, les remarques introductives de Nicolas Simon et Paul Bertrand à ce propos.
Or, au sein même de la discipline historique, il existe un tel éclatement, non seulement en termes de périodes étudiées, mais aussi en termes d’approches, de sources (textuelles, visuelles, statistiques, etc.) et parfois de conception même du métier, que prendre le temps d’échanger « entre nous » me semble toujours salutaire. Et justement, les DH, en tant que : « transdiscipline, porteuse de méthodes, dispositifs et perspectives heuristiques liés au numérique dans le domaine des SHS » (si l’on suit la définition du manifeste de 2010) nous poussent à réfléchir aux pratiques qui gouvernent nos activités de recherche et d’enseignement.
Prendre au sérieux les humanités numériques ?
À condition de les prendre au sérieux, et de prendre au sérieux ce qu’elles sont en mesure d’apporter à la discipline historique et à l’ensemble de la communauté des enseignants chercheurs en histoire, qu’ils pratiquent ou non, consciemment ou non, les humanités numériques. Pour faire comprendre ce que j’entends par prendre au sérieux, je me permets de vous renvoyer à un entretien avec Claire Lemercier, réalisé avec Elisa Grandi pour Diacronie en 2012. Alors que nous l’interrogions sur le sens à accorder au terme « Digital history » (qui me semble aujourd’hui peut-être un peu moins à la mode), soulignant l’omniprésence de l’outil informatique dans ses pratiques, elle nous avait répondu sur le risque de dilution d’une telle notion :
« Si elle doit désigner dans leur ensemble les pratiques des historiens un peu geeks, ceux que leurs collègues appellent quand ils rencontrent un problème « informatique », elle ne me semble pas très intéressante. (…)
Il me semble qu’un aspect fondamental est la question de la structuration de l’information historique (…) Structurer de l’information en lignes et en colonnes sans perdre les acquis de la discipline historique, c’est-à-dire en gardant le lien avec les sources et un équilibre entre le langage de la source et les questions de l’historienne). »
Elle ajoutait, e qui me semble l’un des passages les plus importants :
« Ce sont des questions qui se posaient déjà à l’époque des fiches cartonnées! Mais si le label “digital history” peut les rendre plus explicites et plus centrales dans la discipline, tant mieux. »
Ainsi, à mon sens, l’un des apports majeurs des humanités numériques aux disciplines de sciences humaines et sociales en général, et à l’histoire en particulier, c’est de nous avoir poussés à un véritable effort de réflexivité quant à de nombreux aspects de nos pratiques. Si, comme l’a noté Paul Bertrand dans sa conférence introductive, elles ne transforment pas à elles seules les disciplines, et les font encore moins disparaitre, les humanités numériques constituent au minimum un aiguillon, réactivant des efforts réflexifs anciens qui gagneraient à être mieux connus par la communauté des historiennes et historiens.
Réflexivité, interopérabilité et évolutivité
Le premier domaine concerné correspond à celui qui nous a occupé toute la matinée : celui du traitement des sources et du rapport aux « données »
Comme l’a expliqué Paul Bertrand, un renouvellement de la critique des sources est rendu nécessaire par le développement des humanités numériques. Je partage d’ailleurs totalement l’idée selon laquelle, en ce sens, les HN s’inscrivent/participent/accélèrent un renouvellement amorcé plus tôt ou en parallèle. Elles seraient ainsi, selon PB, à la fois un révélateur et un moteur.
À ce titre, il est important de souligner le fait que les interrogations épistémologiques ouvertes par l’irruption des « données », des « méta-sources » etc. à la faveur du « tournant numérique » ont déjà fait l’objet de réflexions très poussées dans les années 1980-1990. En effet, on trouve un véritable écho aux préoccupations énoncées par Paul Bertrand concernant la nécessaire révision de la critique des sources dans les renouvellements engagés par les travaux de Jean-Claude Perrot et ses héritiers quant à l’usage des sources et méthodes quantitatives. L’approche « reconstructionniste » (je me permets, à ce propos, de vous renvoyer à ce billet et à cet article) offre ainsi une lecture des sources quantitatives très attentive aux conditions de production des statistiques, mais qui, dans le même mouvement, ne présuppose pas l’abandon de leur exploitation. En bref, pour devenir une source exploitable par l’historien, un matériau quantitatif doit d’abord être lui-même un objet de recherche.
En outre, les interventions de la matinée ont bien montré ce qui distingue les projets menés sous l’égide des « humanités numériques » des projets auparavant simplement qualifiés d’« informatiques » : c’est l’importance des réflexions préalables concernant l’interopérabilité et l’évolutivité. Comme Stéphanie Paul l’a très bien résumé dans son livetweet de la journée : « Lutter contre la silo-isation des projets, un thème récurrent à #DHModerNum2016 ».
Ils sont en effet nombreux les projets informatiques développés par/pour les historiens qui, finalement, ont abouti à des bases de données impossibles à réutiliser par qui que ce soit. Ce qui me semble être un apport de la réflexivité qui a accompagné le développement des humanités numériques, c’est l’importance que revêt désormais l’interopérabilité, pensée dès l’amont, et l’évolutivité, constitutive de nombreux projets. Ce que notait Stéphane Demeter concernant le SIG historique de Bruxelles peut, à mon sens, être étendu à l’ensemble des projets relevant des HN : ils tendent de plus en plus à être conçus de façon à être tout à la fois cumulatifs, contributifs et ouverts à tous (en tous cas ils devraient le faire…).
Décloisonnements et élargissement des échanges scientifiques
Mais bien entendu l’apport réflexif des HN à la discipline historique ne se limite pas à la question des données – sans quoi on pourrait presque en conclure ici que, pour l’histoire, les HN ne sont rien d’autre qu’une prolongation des renouvellements opérés par l’histoire quantitative dans les années 1980/1990 (ce qu’elles sont pour bonne part…).
Les HN, on l’a vu, réactivent, accélèrent ou rendent simplement plus visibles les enjeux collaboratifs de la recherche historique. Mais les HN ce sont bien sûr aussi de nouvelles formes de communication scientifique. Comme l’ont bien souligné des analyses qui ont maintenant plusieurs années (mais ne sont certainement pas assez lu en dehors des cercles convaincus de l’intérêt de l’outil), le blog constitue une sorte de réactivation de la conversation scientifique, de la disputatio (voir, notamment, les travaux de Marin Dacos & Pierre Mounier), voire une forme de « séminaire permanent » (selon l’expression d’André Gunthert). Dans son intervention, Nicolas Simon a aussi souligné ce que la pratique du blogging implique en termes de novations du point de vue de l’écriture, du ton, etc.
Les HN ce sont aussi, et là je vous renvoie aux travaux de Serge Noiret, de nouvelles formes d’histoire publique, on parle ainsi de plus en plus de digital public history.
Pour ces conclusions, j’avais envisagé d’amorcer quelques réflexions autour des difficultés que l’on peut éprouver quant à la grande diversité des outils de médiation/diffusion offerts par le numérique : livre/article/blog/mediasociaux/etc. pour souligner la difficulté que nous avions, avec le développement du blogging notamment, à suivre les termes d’un débat scientifique. Or, Pierre Mounier l’a fait bien mieux que je ne saurais le faire dans sa conférence… Pour ne faire qu’un bref point sur la question : Nicolas Simon a noté le fait que, finalement, les blogs/carnets de recherche, appellent, pour l’essentiel, peu de commentaires. Or, dans l’optique du débat scientifique renouvelé offert par le numérique, cela nous mènerait à une impasse.
Comme il le faisait récemment remarquer dans un billet de ParenThèses [eh oui, ici c’est un passage qui n’est pas totalement tiré de mes notes du 13 mai…] le fait est, qu’avec le numérique, nous assistons à un éclatement considérable des lieux du débat scientifique. C’est un constat qu’avec Franziska Heimburger nous avions pu rapidement dresser avec La boîte à outils des historiens : certains collègues commentaient les billets, non pas dans l’espace commentaires du blog, mais dans celui qui était offert par Facebook au pied des partages de liens. Face à une telle situation, ma première réaction, jusqu’à récemment, était d’inviter les commentateurs à faire l’effort de revenir au billet et de le commenter directement. Puis, à force d’observer de telles pratiques, et mon incapacité à convaincre mes interlocuteurs que leurs remarques seraient plus utiles en commentaires que sur twitter ou facebook (l’un n’empêchant pas l’autre bien sûr !) s’est imposée une certitude : il nous faut repenser nos pratiques éditoriales et nos outils de façon à intégrer au mieux cette diversité des lieux d’échanges scientifiques. Je n’ai en revanche, à l’heure où j’écris ces ligne, aucune idée de solution vraiment satisfaisante à vous soumettre…
À une échelle, certes réduite, mais encourageante, on pourra ainsi consulter les Non-actes de la non-conférence des Humanités Numériques du ThatCamp Paris 2012 qui offrent, pour l’excellente conférence inaugurale de Paul Bertrand notamment, Les digital humanities sont-elles solubles dans le Steampunk ?, non seulement une transcription de son propos, mais aussi quelques tweets intégrés issus du live tweet de la session, ou encore un lien vers l’enregistrement audio de la conférence.
Au-delà de l’impérieuse nécessité de repenser à nos pratiques éditoriales, les humanités numériques nous confrontent, par ailleurs, à un enjeux transversal aux interventions de la journée, qui fait de plus en plus l’objet d’interrogations collectives : celles de la pérennisation. Se tenait ainsi il y a quelques jours un colloque relatif à la « pérennisation de l’éphémère » à l’UCL. La question n’est pas anodine – et en tant qu’utilisateur de twitter qui, pour ses comptes personnels, revendique l’éphémère et donc, l’effacement automatique régulier des publications, il me semble que c’est une question fondamentale.
À mon sens, cette question de la pérennisation fait parfaitement le lien entre les deux thématiques abordées au cours de la journée d’études – thématiques qui sont apparues intrinsèquement liées dans toutes les interventions : les questions relatives à la construction et au traitement des « données » ne sauraient être totalement distinguées des questions relatives à la « communication ».
C’est, je pense, ce qui fait ici encore la spécificité des « humanités numériques » : ces dimensions, jugées hermétiques par certains historiens dits « informatisants », apparaissent désormais totalement intégrées aux pratiques numériques des historiennes et historiens.
Conclure des conclusions…
Et c’est sur ce point que je souhaiterais conclure ces remarques conclusives… Ce que nous avons vu aujourd’hui, c’est l’importance du lien entre les deux aspects traités au cours de la journée. Mais ce lien peut prendre différentes formes. Dans nos pratiques les plus courantes, ce lien est réel mais ténu. Or, les pratiques qui commencent à se dégager de projets historiques se réclamant des humanités numériques tendent à aller plus loin. Je ne prendrai ici que deux exemples qui me semblent très parlants.
Le premier concerne les travaux de Frédéric @inactinique Clavert autour du centenaire de la Grande Guerre sur Twitter. Ce projet consiste en la capture de tous les tweets comprenant un certain nombre de hashtags reliés au centenaire. Je n’entre pas ici dans les détails les plus techniques car FC prend soin de mettre en ligne et en libre accès les avancées de son travail.
C’est un projet qui s’inscrit typiquement dans une version renouvelée de la digital public history : il s’agit de prendre en considération le rapport des citoyens à leur propre histoire. Mais ce n’est pas que cela : le projet de Frédéric Clavert correspond aussi à une étude historiographique : comment écrit-on l’histoire de la Grande Guerre dans les années 2010 ? En ce sens, le numérique rapproche ici les questions historiques des questions mémorielles, par la prise au sérieux de ce nouveau mode de communication scientifique qu’est twitter.
On a ainsi, dans ce projet, de nouveaux moyens de production numérique d’un discours historique et mémoriel (sur twitter) qui deviennent l’objet d’une investigation historienne reposant sur la mobilisation d’outils numériques pour la collecte (API de twitter), le traitement (Iramuteq) et la visualisation (Gephi) de données.
Le second projet que je souhaite évoquer est porté par Sébastien @HistorieNumeriQ Poublanc et Rémy @remy_besson Besson, actuellement respectivement à Toulouse et Montréal. Ce projet s’intitule Euchronie et vous pouvez en suivre l’avancée via un carnet de recherche L’atelier d’Euchronie. Avec ce projet, SP & RB ont pris acte de la multiplicité/diversité des modes de production de contenus historiques sur le web : blogs, mais aussi podcasts, vidéos, etc. tant pour proposer de la vulgarisation que des recherches, en cours ou achevées.
Le projet Euchronie vise à agréger – au moyen de PressForward, développé par le RRCHNM (Zotero, Omeka, etc.) et de WordPress – tous ces contenus sur la base d’un critère commun : l’auto-publication. Agrégateur, le projet n’est toutefois pas envisagé comme une simple revue de liens : les ressources feront l’objet d’une éditorialisation, de l’ajout de méta-données, etc.
En outre, sur le plus long terme, l’objectif des concepteurs du projet est d’ainsi constituer un corpus à étudier pour lui-même, pour comprendre les modalités de productions de contenus historiques sur le web. À la croisée de l’historiographie et de la digital public history, il s’agira de mieux comprendre le rapport de nos contemporains au passé.
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(Pour vraiment conclure cette fois…) J’achèverai mon propos en notant que le prochain défi – qui a déjà commencé à être relevé – pour celles et ceux qui s’inscrivent, explicitement ou non, dans le domaine des « humanités numériques », est de penser les interactions entre des activités de recherche et des activités de « communication » et de médiatisation de la recherche qui restent parfois encore trop cloisonnées. C’est aussi, il me semble, une opération qui devrait permettre de rallier les collègues qui restent sceptiques quant à l’intérêt des outils numériques pour l’histoire.
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Crédit image de une : « DH » by Quinn Dombrowski, en cc sur Flickr
je veux chercher les enfants et son epouse de monsieur nikolaevic kouriak de double nationalities Serbian et Français qui née le 15/11/1900 à Serbia exactement à pnishia et travail comme entrepreneur dans la direction general de l’agriculture sous la protectorate francaise en tunisie entre 1940 et 1960 et demeurant à tunis.
En plus, le président de la république générale de la Française, sur le rapport du garde des sceaux, ministre de la justice, décrète: naturalisé français par application de la loi du 29/12/1923,fait à Rambouillet, le 05/09/1934 par Mr Albert Lebrun et par le président de la république du garde des sceaux, ministre de la justice, Mr Henry Chéron
Tous ces donnés sont déclarés dans le journal officiel de la république Française (Jorf).
S V P , donc vous avez tut les donnés de ce Mr je veux l’acte de décès.