Les historiens seront-ils finalement programmeurs ?

Un spectre hante les réflexions autour du tournant numérique qui affecte le métier d’historien… Il s’agit d’une déclaration, faite par Emmanuel Le Roy Ladurie, à la suite d’une conférence concernant l’usage du quantitatif en histoire qui eut lieu en 1967 à Ann Arbor (voir ici, texte publié en 1968 dans Le nouvel observateur, repris en 1974 dans Le territoire de l’historien, p.14) :

 « l’historien de demain sera programmeur ou il ne sera plus »

Plus de quarante ans plus tard, alors que les historiens semblent s’interroger collectivement sur le rôle des outils informatiques et des ressources numériques dans les transformations qui affectent leur métier (voir ici, , ou ), la question de la nécessité d’apprendre à « programmer » se pose sous un angle différent.
Sur son site, Frédéric Clavert (bien connu des lecteurs de ZoteroFrancophone et auteur d’un billet sur les réseaux sociaux  en histoire ici même) a récemment proposé quelques « pensées éparses » sur « le code et l’historien contemporanéiste« . Prenant pour prétexte les réflexions suscitées par ce texte très stimulant, ce billet se veut une sorte de complément/prolongation à celles que Franziska et moi avons entamées sur le « socle commun » et la nécessité d’une meilleure (in)formation des historiens aux outils numériques, pour un article à paraître en fin d’année dans la Revue d’histoire moderne et contemporaine (et dont nous discuterons bientôt à Blois – cf. pp. 14/15)
De la révolution informatique aux mutations numériques

Il ne fait aucun doute que la révolution informatique (qui a vraiment pu prendre tout son sens avec l’invention du PC) à modifié les pratiques de bon nombre d’historiens. Mais les transformations que le passage « l’ère numérique » (et surtout celui au « web 2.0) a entraîné depuis une dizaine d’années sont différentes. Et comme le dit très justement Frédéric Clavert, le développement du recours à l’informatique en histoire, et plus généralement dans toutes les disciplines universitaires, est lié à une simplification des outils et à une baisse quasi-exponentielle du coût du matériel informatique.

Sur ce point nous sommes tout à fait d’accord, et je me contenterai d’indiquer quelques chiffres que nous avons recherchés pour notre article :

  • En 2006, l’indice hédonique – c’est à dire, à qualité constante – du prix de vente industriel des mico-ordinateurs atteignait 0,6% de sa valeur de 1988 (source : Michel Volle – sur son site personnel – d’après données INSEE)

    À cela Frédéric Clavert ajoute un élément auquel nous n’avions pas pensé en ces termes : « l’expansion des interfaces graphiques telles que nous les connaissons aujourd’hui« , qu’il considère comme une sorte de frein à la réalisation de la prophétie d’Emmanuel Le Roy Ladurie :

    « Mais cette expansion de l’ordinateur individuel a aussi retardé le recours au développement, au code lui-même, à la programmation. Parce que ces interfaces graphiques en réduisait, dans un premier temps et pour certains types d’usages, l’utilité. »

    Si je suis d’accord sur le constat, je n’en ai pas la même interprétation. Je pense que la démocratisation de l’informatique, associée au développement d’interfaces en facilitant l’utilisation ont permis aux historiens de se libérer de l’obligation d’apprendre à programmer.

    Pour la grande majorité des usages de l’informatique en histoire, le recours au code ou à la programmation n’est pas nécessaire. Il me semble que c’est une véritable avancée car si ces questions passionnent certains d’entre nous (je ne code pas non plus… et j’aimerais apprendre aussi…) elles ne me semblent pas être généralisables à tous les historiens, ni même à l’ensemble des contemporanéistes.

    À mon sens, si la prophétie d’Emmanuel Le Roy Ladurie ne s’est pas réalisée jusqu’à présent, c’est essentiellement parce qu’elle généralisait à l’ensemble des historiens une pratique qui concernait essentiellement les quantitativistes. Certes, à ce moment là l’histoire quantitative était « à la mode » (selon l’expression de François Furet en 1971) mais entre temps elle ne l’a plus été, et force est de constater que le développement de l’usage des outils informatiques est longtemps resté l’apanage de ceux qui n’ont pas développé d’allergie au maniement du chiffre en histoire… Mais cela ne fait pas grand monde !

    Pour autant, je partage totalement la conclusion de Frédéric Clavert :

    « Comme le disait, donc, Jean-Philippe Genet dans les années 1990, la formation informatique des historiens en France et ailleurs reste une urgence. En fait, une question de survie de la discipline, toutefois de cette partie de la discipline qui s’intéresse à notre histoire la plus récente. »

    Il me semble toutefois que les flux et reflux de l’histoire quantitative doivent nous enseigner que, pour répondre à l’urgence de la formation informatique des historiens, il est nécessaire de réfléchir aux transformations qui affectent en profondeur l’ensemble des historiens et de tenter d’identifier ce qui doit fonder une sorte de culture générale informatique et numérique à tous les historiens.

    Distinguer l’indispensable du très utile
    Cela nous renvoie à l’idée d’un socle commun qui regroupe l’ensemble des outils indispensables à la pratique de l’histoire à l’heure du numérique. Au cours de nos réflexions sur ces questions, nous avons identifié trois types de transformations qui nous sont apparues comme communes à l’ensemble des historiens (je reprends ici la typologie que Franziska et moi avons établi pour notre article – et dont on pourra trouver quelques illustrations ici) :

    • l’émergence de pratiques documentaires originales, liées à une accélération de certaines étapes de la recherche et à la migration de certains lieux de travail. On assiste en effet à un accroissement de l’accessibilité de la documentation, d’une massification des corpus disponibles et d’une automatisation de certaines pratiques
    • l’apparition de nouveaux modes de diffusion de la recherche. Avec Internet, du site personnel au blog en passant par les revues électroniques et les archives ouvertes, les façons de publier des contenus scientifiques se sont multipliées
    • la naissance de formes inédites d’échanges scientifiques et pédagogiques avec le développement de nombreux instruments facilitant l’entraide, le travail collaboratif et les démarches collectives

    Parmi toutes ces activités, il existe des outils dont l’utilisation est indispensable et dont l’enseignement devrait être généralisé par la mise place de formations pérennes. Je reproduis ici les trois pôles que nous avions regroupés en forme de « socle commun » :

    • Recherche documentaire (bibliothèques numériques et archives ouvertes ; catalogues, méta-catalogues et portails de ressources ; bases de données de revues)
    • Gestion et exploitation des données (outils de gestion de bibliographie et de sources, comme Zotero ; le tableur comme outil de traitement de données, calculs et graphiques, et comme instrument de base de données)
    • Présentation et diffusion de la recherche (traitement de texte et autres outils d’écriture ; logiciels de présentation type Powerpoint et/ou Prezi ; Blogging scientifique)

    Comme le notait @regisrob en commentaire :

    « ce sont en quelque sorte les premières bases d’un C2i pour historiens que vous posez là (ou plus généralement un C2i spécialisé pour les disciplines SHS). Les premières briques étant posées, il serait intéressant d’approfondir et de formaliser davantage ce socle en déterminant pour chaque pôle un ensemble de capacités/connaissances à acquérir. A voir le contenu détaillé de vos formations en 2010, et particulièrement les conférences, je constate que vous avez déjà commencé à y intégrer la dimension « sensibilisation aux digital humanities » (méthodes et usages, outils, projets), ce qui rejoint d’ailleurs la question posée dans cet article (déniché au détour d’un tweet de @spouyllau) : Les « digital humanities » à la fac : utile ? (suite à un article original de Curt Hopkins sur RWW). Ce sont peut-être là les prémices d’une intégration des DH dans les cursus en SHS. »
    Nous réfléchissons actuellement à une telle formalisation un peu plus précise (en partant, notamment, de nos propres enseignements) qui fera probablement l’objet d’un prochain billet. À ce stade, je me contenterai de souligner que, ce qui est essentiel dans notre démarche, c’est de souligner une double nécessité :

    • de faire en sorte que ce type de formation soit très étroitement lié aux enseignements de méthodologie et d’épistémologie de la discipline historique. C’est la seule manière de ne pas perdre de vue qu’il s’agit d’instruments au service de l’analyse historique, et non l’inverse.
    • de bien distinguer ce qui est indispensable de ce qui n’est « que » très utile. En effet, en l’état actuel de l’enseignement informatiques aux apprentis historiens, il n’est pas envisageable  d’aller vers une figure de l’historien-informaticien (et je ne pense pas que l’on doive prendre cette direction). C’est pourquoi il est effectivement fondamental d’inscrire les formations dans une perspective de sensibilisation aux possibilités offertes par l’ensemble des outils issus du développement des digital humanities.

    Et la programmation dans tout ça ?

    Le déficit de formation des historiens en informatique, comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner par ailleurs, fait émerger deux risques majeurs :

    • le premier consiste en un possible abandon du recours à des outils extrêmement utiles et dont la maîtrise deviendra, peu à peu, une sorte de pré-requis. À plus ou moins long terme, ce sera probablement le cas, par exemple, des logiciels de bibliographie. On peut facilement imaginer que les établissements d’enseignement supérieur imposent, dans le cadre de la généralisation du dépôt électronique des thèses, l’utilisation d’un style de citation propre, comme pour les feuilles de styles des traitements de texte.
    • le second consiste en un possible mésusage de certains outils ou une utilisation d’instruments inadéquats (voire totalement) inutiles pour certaines recherches. Avoir besoin de faire une carte pourrait pousser le chercheur mal informé à apprendre à utiliser un système d’information géographique alors qu’un outils de cartographie basique pourrait suffire…

    Ces dangers guettent aussi les bénéficiaires de formations poussées sans lien avec de véritables besoins de recherches.

    Par exemple, il nous semble que sensibiliser les étudiants en histoire à l’existence et aux possibilités offertes par la lexicométrie et par l’encodage en XML-TEI est indispensable dès le Master. En effet, pour décider d’utiliser les outils avancés d’analyse et de traitement informatique des textes, il faut au moins savoir qu’ils existent… C’est ce que nous tentons de faire avec les conférences qui viennent clore chacune des journées de formation aux outils informatiques (sur ces questions nous bénéficierons cette année d’une conférence de Benjamin Deruelle et Sophie Cinquin sur la lexicométrie).
    En revanche, imposer une formation à la lexicométrie ou au langage XML-TEI à l’ensemble des étudiants en Master n’aurait pas de sens : toutes les sources et tous les objets de recherche ne se prêtent pas à un tel traitement… et l’investissement nécessaire à l’apprentissage de ce type d’outils suppose de réellement en avoir besoin. Je pourrais multiplier les exemples, mais il en va de même pour les SIG, les bases de données, les logiciels avancés de traitements statistiques, etc.

    Le codage ou la programmation me semble donc relever de ce qui est très utile mais non indispensable à tous les historiens. Franziska l’explique très bien dans son commentaire
    « Il est crucial de partir des sources, quelles qu’elles soient. Je ne pense pas que former des historiens à coder dans l’abstrait soit utile. Il faut en revanche sensibiliser les historiens aux possibilités qui leur sont offertes pour qu’ils puissent, le jour et le corpus de sources venu, se tourner vers une méthode, une technique, l’apprendre pour les besoins d’une enquête et l’utiliser. »
    La découverte d’un certains nombre d’instruments peut, en effet, conduire à une forme de fétichisme qui – comme cela a été le cas avec le quantitatif en histoire – n’apporte généralement rien de bon. Dans un commentaire sur le même billet, Dr_Mellifluus résume ainsi très bien cette idée :

    « Et vu les catastrophes scientifiques qu’il m’est arrivé de voir dans lesquelles l’aspect “code” était absolument parfait, je ne suis pas non plus certain qu’il faille toujours trop pousser seulement de ce côté-là. »

    Dès lors, la sensibilisation me semble devoir être le maître mot – à condition qu’il existe des formations efficace et solides. Comme celle qui est organisée à l’université de Tours pour le langage XML-TEI par exempl.

    Faire face à la massification des corpus
    Reste la question du traitement d’une documentation de plus en plus massive qui constitue le point de départ de l’analyse de Frédéric : 

    « Les “XXièmistes” avancent dans leurs recherches au fur et à mesure de l’ouverture des archives. La fameuse loi des trente ans. Nous dépouillons donc, actuellement, en France, les archives qui touchent la fin des années 1970 et le début des années 1980. Or, internet, le web, ne sont plus, pour leurs débuts, si lointains. Dès que nous aborderons les années 1990, nous devrons faire face à un afflux croissant suivant une courbe – dans un premier temps – exponentielle d’archives numériques, comme le fait si bien remarquer Dan Cohen. Dans le domaine de l’histoire de l’intégration européenne, ne faudra-t-il pas prendre en compte les milliers – probablement les millions – de courriers électroniques vraisemblablement échangés pour la préparation de l’élargissement de l’Union européenne à dix nouveaux pays membres en 2004?
    Pour l’exploitation de ces archives, nous devrons apprendre à coder, pour mettre au point les outils informatiques permettant d’exploiter ces archives numériques, trop nombreuses pour faire l’objet d’un traitement strictement humain – et si toutefois ces archives numériques sont conservées. Nous devons apprendre à coder dès maintenant si nous voulons nous préparer à temps. La citation de Le Roy Ladurie n’a jamais été aussi actuelle. »

    Il ne fait aucun doute que la massification des corpus de sources sera un véritable défi pour les historiens. Mais de ce point de vue, n’est-ce pas, comme le fait remarquer Bertand Müller, moins l’historien que l’archiviste qui est devenu programmeur » ? Du côté des historiens, il ne me semble pas qu’apprendre à coder constitue la seule solution pour faire face à cette situation qui n’est finalement inédite que par l’ampleur de la massification (que dire, sinon, de la massification qu’ont connu les historiens formés aux sources proprement manuscrites, devant faire face aux documents dactylographiés et reproduits en multiples exemplaires via les pelures par exemple ?).

    • En premier lieu, la documentation qu’il faudra exploiter – lorsque sera véritablement réglée la question de sa conservation à long terme… – sera déjà de la documentation numérique. Son traitement via des logiciels d’analyse des textes en sera donc grandement facilité.
    • En second lieu, massification de la documentation consultable ne signifie pas forcément massification de la documentation intéressante. En ce sens, l’échelle est différente, mais la question est ancienne : apprendre à sélectionner les documents et à combler les vides de l’information est depuis longtemps au cœur du métier d’historien. Ici, c’est à un retour au sources de la méthode critique historique (de l’école méthodique à celle des Annales) qu’il est nécessaire d’appeler.
    • Enfin, il me semble que l’une des solutions envisageables consiste dans le développement des démarches collectives. C’est probablement l’une des transformations majeures qu’est appelée à connaître le métier d’historien grâce au numérique : la facilitation des démarches collaboratives de grande ampleur laisse entrevoir des possibilités inédites d’exploitation et d’analyse de corpus considérables.
    *

    Les historiens devront-ils finalement devenir programmeurs ? Tout comme Frédéric Clavert l’écrit en réponse aux commentaires, il me semble indispensable de promouvoir :

    une »formation informatique plus solide pour les historiens (et pas uniquement eux) et [de] faire en sorte qu’une masse critique d’historiens soit suffisamment à l’aise avec le développement pour pouvoir aider, former, entraîner les autres. Pour faire un pont avec les informaticiens et éviter ce que j’ai pu voir, c’est-à-dire une telle méfiance vis-à-vis de la technique que certains en sont à un stade incroyablement régressif. »

    Toutes celles et ceux qui ont eu à enseigner l’informatique appliquée aux recherches historiques ont, un jour ou l’autre, dû faire face à une méfiance, voire à une remise en cause explicite de l’intérêt même de ce type de formations.

    Le défi immédiat n’est donc pas de faire en sorte que tous les historiens deviennent programmeurs… mais plutôt de s’assurer que l’informatique (des outils les plus simples aux langages de programmation) ne soit plus considéré comme une science auxiliaire de l’histoire mais comme un des éléments essentiels et légitimes de la boîte à outils des historiens…

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    Émilien Ruiz
    Historien, assistant professor à Sciences Po. < e-ruiz.com >

    13 Comments

    1. Bonjour,

      L’informatique est un métier en soi, pas facile d’être à la fois un bon historien et un programmateur efficace, ne serait-ce que parce qu’il n’y a que 24h dans une journée. Mais les informaticiens peuvent aussi devenir historiens, ça ne va pas que dans un sens, non ?

      Enfin, il est peut-être plus raisonnable d’envisager des collaborations historiens/informaticiens, chacun se concentrant sur son domaine d’excellence. Cela suppose un effort et une ouverture vers le métier de l’autre qui n’est pas toujours évident.

    2. @Amaury de la Pinsonnais oui, tout à fait, c’est un élément que nous évoquons dans l’article à paraître mais que j’ai oublié de mentionner dans le billet.
      Il existe des besoins spécifiques – et ils seront probablement de plus en plus nombreux – qui nécessiteront un véritable décloisonnement entre historiens et informaticiens. De ce point de vue, l’existence de rencontres du type de « DISH2011 » organisées en juillet 2011 par l’association « Contact » des docteurs et doctorants de l’Académie de Montpellier est très encourageante. Pour plus d’informations voir http://calenda.revues.org/nouvelle20285.html et http://contact.asso.fr/dish2011/

    3. Bonjour,

      J’ai du mal à comprendre pourquoi vous semblez restreindre l’intérêt d’une bonne formation aux outils informatiques et à la programmation aux historiens contemporainistes, et à ceux qui s’intéressent à la période la plus récente.

      J’ai très douloureusement fait l’expérience de mon manque de connaissances il y a quelques années, en travaillant sur des réseaux bien constitués à la fin du XVIIIe et début XIXe, où j’ai du me former sur le tas, avec énormément de tâtonnements, à construire des graphes sociaux pour déterminer les relations entre les uns et les autres en m’appuyant sur des corpus de correspondances. J’ai appris au cours de mes travaux l’existence de logiciels qui m’auraient facilité la tâche, et que je ne maîtrisais pas. Grosse frustration 🙂

      À mon avis dès qu’on travaille sur un corpus avec une certaine cohérence, on peut identifier certains points à sérier et faire travailler des programmes informatiques dessus, qui sont capables souvent de faire ressortir des informations qu’un oeil humain peut souvent pressentir tout en ayant du mal à le décrire avec précision.

    4. @Z Merci pour votre commentaire. S’il arrive souvent que les exemples que nous citions sur La boîte à outils soient tirés de l’expérience de contemporanéistes, c’est qu’il se trouve que Franziska et moi travaillons tous deux sur le XXe siècle. Néanmoins, il ne me semble pas que nous restreignons analyses et conseils aux seuls contemporanéistes.

      En ce qui concerne précisément ce billet, si je fais beaucoup référence au très contemporain, c’est tout simplement parce que le billet de Frédéric Clavert qui m’a en partie servi de point de départ concerne justement ces questions.
      J’ai toutefois pris soin de bien expliquer dans ce billet que ce qui nous préoccupe du point de vue de la formation des historiens, c’est bien ce qui pourrait s’appliquer à tous. D’où l’idée d’un « socle commun », et d’où notre tentative d’identifier les transformations qui nous apparaissent comme communes à l’ensemble des historiens.

      Pour ce qui concerne votre expérience douloureuse… c’est justement parce que nous avons connu ce type de découvertes a posteriori et que nous avons souvent entendu ce type de récits récurrents parmi nos étudiants ou collègues que nous avons décidé de mettre en place notre formation « outils informatiques pour les historien-ne-s » à l’ehess et de créer ce blog.

      Pour revenir aux « historiens programmeurs », je suis tout à fait d’accord avec votre remarque concernant l’intérêt d’utiliser des programmes informatiques. Ce que j’explique dans ce billet c’est que si nous avons tous besoin d’utiliser ce type d’outils à un moment donné, nous n’avons pas forcément tous besoin d’apprendre à programmer pour cela

    5. Bonjour,
      je vais me permettre d’ajouter quelques commentaires.

      En premier lieu, nous sommes tous d’accord sur un point: le besoin de formation aux outils informatiques est impératif. Il me semble toutefois qu’introduire ces outils en Master est un peu tardif. Étant donné la forte dimension professionnalisante de ces outils, les évoquer dès la licence peut aider les étudiants à choisir leur Master (et notamment les master pro) en fin de licence.

      Je suis par contre en désaccord sur deux points.

      S’il est nécessaire de partir des sources, ce n’est toutefois pas suffisant. Le métier d’historien est aujourd’hui plus vaste que la collecte et l’interprétation des sources: enseignement, relations avec l’administration, direction (pour les chercheurs/enseignants-chercheurs habilités) de centres de recherche, élaboration, participation et direction de projets nationaux ou européens… Toutes ces fonctions peuvent appeler d’autres usages de l’informatique et toutes ces fonctions font aujourd’hui partie de notre métier.

      Le second point porte sur la massification des archives. Rappelons quelque chose de fondamental: les centres d’archives ne sont pas faits pour les historiens, mais pour les administrations elles-mêmes qui doivent se souvenir de leurs agissements passés. Il n’est donc pas évident de dire que la conservation des archives numériques se fera en fonction de nos besoins. À partir de ce moment-là, il sera peut-être nécessaire pour l’historien d’adapter lui-même cette conservation à son métier de chercheur. L’intérêt d’avoir au minimum des notions de développement sera très grand.

      Par ailleurs, pour répondre à l’un des commentaires: je me suis orienté dans mon billet sur l’histoire contemporaine, car je parlais simplement de ce que je connais. Je ne me permettrais pas de tenir un discours pour des périodes que je maîtrise bien moins.

      Bien à vous,
      Frédéric.

    6. @Frédéric (1/3)

      Merci beaucoup pour tes commentaires.

      1. Concernant la formation :
      Il ne fait aucun doute que l’enseignement des outils informatiques devrait être introduit dès le début d’une Licence. C’est d’autant plus important qu’il serait très difficile (compte tendu des autres choses qu’ils ont à apprendre) de former des étudiants de Master à l’ensemble des instruments qui leurs seront indispensables.

      De ce point de vue, ce qui doit changer, c’est la façon dont ces outils sont enseignés. Le C2i a été mis en place un peu partout. La plupart des étudiants qui suivent ces enseignements le prennent comme une corvée qui n’est pas liée à l’objet de leurs études. L’une des raisons qui expliquent cette réaction tient au mode d’enseignement des outils bureautiques qui est presque totalement déphasé des disciplines dans lesquelles les étudiants se sont engagés. En ce sens, le cours dirigé par Manuela Martini à l’université Paris Diderot (Paris 7) me semble être un exemple à suivre. En deuxième année les étudiants en histoire suivent tous un enseignement appelé autrefois « traitement informatisé des données historiques » et aujourd’hui « informatique et histoire ». Ils y apprennent à utiliser des outils (le tableur et les bases de la statistique descriptives) dans une perspective véritablement historienne (l’exploitation de données chiffrées en histoire économique : évolution des prix, salaires, pouvoir d’achat, démographie, etc.)

      En ce sens, notre « socle commun » regroupe tout ce qui nous semble devoir être maitrisé à la sortie d’un master, mais ne présage en rien de l’année au cours de laquelle chaque enseignement devrait être mis en place. Reste que, malgré la mise en place du C2i dans les universités françaises il y a plusieurs années et bien que le nombre de certifiés augmente (voir ici : http://www.c2i.education.fr/spip.php?article4), de nombreux étudiants arrivent en Master sans savoir utiliser correctement un traitement de texte, un tableur ou une présentation… et certains ont parfois presque tout à apprendre.

      – le commentaire est scindé à cause du nombre de caractères limités qu’impose blogger –

    7. @ Frédéric (2/3)

      2. Concernant le fait de « partir des sources »

      Je suis d’accord avec toi lorsque tu écris qu’il n’est pas suffisant de partir des sources. Ce que j’y ajouterais pour ma part, c’est que cela dépend aussi de l’objet, et de la façon dont on a choisi de le traiter, et du goût de chaque historien pour l’investissement dans une exploitation informatique. Mais cela n’est pas vraiment sur cette question que porte ta remarque

      2.bis. Concernant le « métier »

      Ici notre désaccord tient à la question du périmètre que l’on assigne au « métier d’historien ». Je n’ai pas les compétences nécessaires pour engager une réflexion épistémologique sur « qu’est-ce qu’un historien », je m’en garderai donc bien et me contenterai donc de quelques remarques.

      Je suis d’accord sur le fait qu’enseignement et recherche se nourrissent mutuellement, et que la transmission étant au cœur de l’activité scientifique, on ne saurait dissocier totalement ces deux activités. En revanche, je ne partage pas l’idée selon laquelle ce sont les activités administratives, désormais au cœur des pratiques de nombreux historiens en poste à l’université, qui devraient guider notre réflexion sur la formation des chercheurs.

      Je suis tout à fait d’accord : toutes les fonctions que tu cites supposent la maîtrise d’outils informatiques de plus en plus innovants qui nécessiteront la maîtrise, à plus ou moins long terme, de la programmation. Cela rejoint ce que professe l’auteur de la citation que tu nous as envoyé ce matin sur twitter (« Digital technology is programmed. This makes it biased toward those with the capacity to write the code » D. Rushkoff) : « Program or be programmed ». Le problème c’est qu’ici on ne se trouve plus, selon moi, dans la question du métier d’historien – que je restreins aux pratiques d’enseignement et de recherche – mais dans la problématique d’une adaptation générale à l’ère numérique dans l’ensemble de nos activités, professionnelles ou non. C’est l’exemple que tu donnais dans un commentaire à ton billet : « au quotidien, le fait de ne pas savoir coder, je m’en aperçois vraiment tous les jours, est un handicap. Un exemple tout bête: je veux mettre un CV plus complet sur ce site.
      J’en ai déjà un sur plusieurs sites. Pourquoi ne pas faire une petite routine permettant d’aller récupérer ces CV déjà en ligne pour les rapatrier sur mon site? ». Mais dans ce cas il faudrait pousser encore plus loin et considérer qu’il est de la responsabilité des universités de former l’ensemble des étudiants, non seulement aux NTIC mais aussi aux bases de la programmation.

      Sur ce point je suis prêt à te suivre, mais il ne s’agit pas d’une question de pratique du métier d’historien. Je continue à penser que certains outils restent « facultatifs » et ne devraient faire – dans un premier temps – l’objet que de formations ouvertes aux volontaires mais pas imposées à tous. Le bon modèle me semble être celui des formations TEI qui existent aujourd’hui (à l’exception près qu’elles mériteraient vraiment d’être plus nombreuses).
      Ceci dit, cela ne veut pas dire qu’à long (voire moyen) terme je ne pense pas qu’il faudra apprendre à programmer. Je te suis complètement là-dessus.

      Et encore plus quand tu écris, encore dans l’un de tes commentaires : « Mon idée est aussi d’apprendre aux historiens, assez tôt dans leurs études, les bases de l’informatique afin que, lorsqu’ils arrivent en thèse et s’aperçoivent qu’ils ont besoin de manipulations informatiques avancées, ils ne se retrouvent pas trop dépourvus. En ce sens, apprendre à coder “dans l’abstrait” peut être utile, mais on parle ici de maîtriser quelques bases, pas plus. Si un médiéviste ne connaît pas le grec ancien, il en maîtrise sans doute quelques bases qui lui permettront d’aller vite dans l’apprentissage poussé dont il peut avoir besoin à un moment de ses recherches. »

      En revanche, je ne pense pas que le temps soit encore venu d’une réalisation de la prophétie de Le Roy Ladurie.

    8. @Frédéric (3/3)

      3. Sur la massification des corpus

      Il y a un point sur lequel je ne suis pas d’accord : les centres d’archives ne sont pas faits uniquement pour les administrations. J’ai eu l’occasion d’assister à une conférence donnée par une conservatrice des archives nationales qui expliquait que ce métier s’inscrit justement dans une tension entre les besoins « immédiats » des administrations (et c’est pareil pour le privé) et la nécessité de « préparer le terrain » pour les historiens du futur. (On retrouve cela dans la description que les archivistes donnent eux-mêmes de leur métier : http://www.archivistes.org/Qu-est-ce-qu-un-archiviste).

      Ceci dit, je suis d’accord sur le fait que la conservation ne se fait pas en fonction de nos besoins, tout simplement parce qu’il n’est pas possible aux archivistes de prévoir absolument ce que sera notre demande, et parce que l’arbitrage entre conservation pour les historiens et destruction pour les besoins du service (c’est souvent une question de place) ne se fait pas toujours au profit des recherches historiques futures.
      Mais ça, cela n’est pas nouveau pour les contemporanéistes. Et ne parlons pas des autres périodes, dont les corpus ne sont certainement pas appelés à une massification…
      Par contre je ne comprends pas très bien ce que tu entends par « il sera peut-être nécessaire pour l’historien d’adapter lui-même cette conservation à son métier de chercheur ».

      *

      Pour finir, je voudrais préciser à nouveau que toute cette réflexion ne vise pas à remettre en cause l’idée selon laquelle il pourrait être extrêmement utile que l’ensemble des historiens apprenne à programmer.

      C’est juste que je pense que, au stade où nous en somme de la maîtrise d’un certain nombre d’outils de base par les apprentis historiens (et même par les chercheurs confirmés), ce n’est pas ce qui doit constituer une priorité des formations de tronc commun. Comme tu en cites l’exemple toi-même, tous ne savent pas encore faire un index ou une table des matières… de là à leur apprendre à coder !

      En revanche, et pour finir, je pense que les MastersPro destinés à l’acquisition de véritables compétences informatiques pour les historiens devraient être développés. Ce serait un bon moyen pour arriver, comme tu l’écris, à « faire en sorte qu’une masse critique d’historiens soit suffisamment à l’aise avec le développement pour pouvoir aider, former, entraîner les autres. »

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