Gérer la documentation II – une approche possible utilisant Zotero

Dans un premier billet, j’ai évoqué les possibilités logicielles qui existent pour gérer la documentation d’une thèse. Dans ce billet-ci, je reviens sur mon mode de fonctionnement personnel, pour l’essentiel une utilisation intensive du logiciel de gestion de bibliographie Zotero (bien connu des lecteurs de ce blog). Pourquoi ce choix ? Au départ c’est une volonté d’éviter l’éparpillement. Il me fallait de toute façon un outil pour gérer la bibliographie et il me semblait naturel d’y stocker mes notes concernant la lecture de la dite bibliographie. De là, il n’y avait qu’un pas pour y intégrer également mes notes d’archives – surtout pour pouvoir profiter des fonctions d’organisation, d’annotation et de recherche en plein texte sur l’ensemble de ma documentation.

Un autre argument – de taille – m’a orienté dans mon choix de l’outil : le fait que je puisse exporter mes références avec leurs notes et fichiers joints dans plusieurs formats d’échange bien identifiés. Ceci me permettrait, le jour où je le souhaiterai, de « repartir » avec mes données et d’utiliser un autre logiciel. Pour illustrer ce critère décisif un exemple suffit : j’avais commencé à gérer mes photos d’archives au tout début de ma recherche avec Picasa, utilisant notamment les « tags » et les dossiers pour tout organiser. C’était plutôt ergonomique, j’en étais satisfaite, mais au bout d’un moment j’ai compris qu’il n’y avait aucun moyen d’exporter les photos avec ces informations supplémentaires du logiciel et que même la migration vers un nouvel ordinateur risquait de poser problème.
Ce billet vous présentera l’essentiel de mes habitudes de travail – et un dernier dans la série prendra le relai pour le passage de la collecte et l’organisation à l’étape de la rédaction.

Mes bonnes habitudes de collecte

Rentrer tout ce que l’on croise ou consulte

Un des meilleurs conseils que j’ai vu dans un des nombreux livres d’aide à la rédaction d’une thèse que j’ai lu au fil des années (en occurrence, celui-là), concernait le fait de noter toutes les références que l’on consulte, y compris celles qui s’avèrent finalement d’un intérêt limité. Sinon on court le risque de reconsulter plusieurs fois l’article dont le titre semble si proche de ce que l’on fait…
Prennent donc place dans mon Zotero toutes les références que je croise et qui sont susceptibles de m’intéresser. Cela concerne donc tout autant les ouvrages que je suis en train de consulter et ceux que je voudrais voir mais auxquels je n’ai pas forcément accès tout de suite. Il devient donc essentiel de pouvoir faire le tri dans ces références de nature différente. Quand je consulte un ouvrage, même si ce n’est que pour une lecture en diagonale, j’ajoute une note à la référence pour indiquer mes impressions (cf. section suivante). Tant qu’aucune note n’est associée à une référence, cela veut dire que je ne l’ai pas consultée.


Avec ce fonctionnement général, j’ai pu créer deux recherches enregistrées. Une première ressort tout ce que j’ai lu.

C’est un point de départ que j’utilise souvent quand j’essaie de retrouver un titre dont je sais que je l’ai déjà regardé.

Il est possible d’emboîter les recherches avancées enregistrées, du coup j’en ai une deuxième qui n’affiche que les références auxquelles aucune note n’a été ajoutée. C’est en quelque sorte mon cahier de charges…


Outre les ouvrages, j’intègre également les exposés ou présentations orales que je peux entendre en colloque ou en journée d’étude, en y associant, si j’en dispose, des résumés ou des documents annexes (slides ppt, par exemple).

Effectuer un classement par thématique et/ou projet de recherche

J’utilise de façon souple les collections et sous-collections dans Zotero. J’ai commencé avec un découpage en grands domaines (les chiffres qui précèdent permettent de définir un ordre – sinon c’est alphabétique) et ensuite j’utilise ce qui s’adapte au mieux à une thématique ou un projet. Pour ma thèse, j’ai des collections de biblio, de sources publiées et de sources d’archives, pour mon enseignement il y a des sous-dossiers par an et séminaire, puis par séance.

J’ai une arborescence particulière pour les projets d’écriture qui me permet de réunir à un seul endroit les références utiles pour chaque projet. Mon travail de veille sur les publications concernant la Première Guerre mondiale se fait maintenant exclusivement à travers une bibliographie partagée dont je parle ici.
Un point très important : j’ai activé la préférence cachée de Zotero appelée « recursive collections » (mentionnée dans ce billet de la Boîte à outils). Cela permet d’afficher dans chaque collection le contenu de l’ensemble des sous-collections. Pour moi c’est un outil incontournable pour retrouver des références – par exemple quand je sais que je l’ai utilisée pour un enseignement, mais que je ne sais plus dans quelle séance ou quelle année. Je l’identifie dans la collection au-dessus et ensuite je vérifie ses collections d’appartenance en appuyant sur la touche « alt » ou « ctrl », selon le système d’exploitation.

Se donner les moyens de retrouver idées, arguments, développements

Un logiciel de bibliographie permet à minima de garder une liste de références. Il est cependant possible d’aller bien au-delà avec les fonctions d’annotation et de catégorisation. Pour moi un enjeu essentiel est de pouvoir rapidement resituer un ouvrage dans son contexte historiographique et dans les travaux que j’ai pu faire moi-même. Je m’impose donc d’ajouter à chaque référence que j’ai consulté une note qui indique la date, le type de lecture que j’en ai fait (pour un compte rendu, en diagonale, pour un projet, un enseignement…), et dans la mesure du possible une appréciation rapide du contenu et de son intérêt pour mon travail. Si et quand je reconsulte un ouvrage, j’ajoute une autre note, indiquant ce que j’ai fait. Voici quelques exemples :

Une fois la note de suivi de lecture établie, tout dépend de l’ouvrage et de l’usage que je compte en faire. S’il n’est pas intéressant pour moi, je l’indique dans cette première note et je passe à autre chose. S’il s’agit d’un ouvrage que je suis susceptible d’utiliser dans un ou plusieurs projets de rédaction, je prends des notes plus amples, soit un résumé rapide, soit un relevé de citations. Quand je prends des citations en note, je les fais précéder du numéro de la page, ce qui les affiche dans l’ordre chronologique du livre. Avec une citation attachée de cette façon à une référence dans Zotero, j’ai tout le nécessaire sous la main pour l’utiliser dans la rédaction.


Pour prendre des notes, j’ai plusieurs stratégies, selon le support. Pour des livres, je recopie à la main les citations et je les note comme indiqué avec l’indication de la page. Quand il s’agit d’une référence pour laquelle je possède le .pdf, je le rattache à la notice Zotero et ensuite je fais un travail d’annotation, soulignement etc. directement sur le .pdf avec un logiciel adapté (dans mon cas Foxit tournant via wine sous ubuntu).

Un plug-in bien utile de Zotero, Zotfile, permet ensuite d’extraire les annotations comme notes dans Zotero. [Mise à jour 2022 : depuis la version 6.0 de Zotero, cette fonctionnalité est intégrée directement dans Zotero]

Réunir notes sur littérature secondaire et sources primaires dans le même système

J’ai mentionné en introduction que mon adoption de Zotero ne concerne pas uniquement la bibliographie, mais également les sources primaires. Mon mode de fonctionnement est proche de celui décrit dans un récent billet par Elena Razlogova. J’ai des collections par fonds d’archives qui me permettent de retrouver vite des documents que je cherche. A l’intérieur de ces collections, mes choix varient en fonction du type de document consultés. Ainsi, pour mes archives principales au Service Historique de la Défense à Vincennes j’utilise une entrée (du type manuscrit, parce que cela me donne les catégories qui m’intéressent) par carton, pour d’autres fonds c’est plutôt une entrée par liasse ou même des entrées individuelles (lettre, manuscrit etc.) par document à l’intérieur d’un regroupement plus large.

Voici un exemple sur un carton d’archive à Vincennes :

Chaque entrée comporte une note de procédure similaire à celles que je fais pour les ouvrages publiés (ce qui évite de retourner inutilement aux archives parce que l’on se souvient plus si on avait vu tout le carton ou pas, etc.)

Ensuite tout dépend des documents à l’intérieur. S’il y a des textes longs importants pour moi, je les saisis souvent dans une note de Zotero ou alors dans un document à part qui est attaché sous format .pdf à la référence. Pour la plupart de mes cartons d’archives, j’ai des photos prises sur place que j’attache également à la référence. Une photo jointe à une référence peut elle-même comporter des notes – j’essaie de mettre systématiquement au moins quelques mots clés concernant le contenu, des fois une transcription intégrale.

Le choix d’attacher les photos (soit en tant que jpg, soit regroupés dans un .pdf pour pouvoir les annoter) à une entrée dans Zotero est ma réponse à la question déjà évoquée dans un billet précédent : comment faire pour conserver le lien entre photo et document d’origine ? Les éléments de notes ou de transcription sont accessibles par la recherche en plein texte dans Zotero, ce qui me permet de localiser très vite la photo d’archives qui va m’intéresser.

Conclusions

J’utilise Zotero depuis  quatre ans et demi et j’avais déjà constitué une première bibliographie auparavant dans un autre logiciel que j’ai pu importer au démarrage dans Zotero. Ma bibliothèque personnelle comporte actuellement 3655 références, ; en comptant les notes et fichiers joints, on arrive à 9558 éléments (s’y ajoutent les 2576 références partagées dont je m’occupe). C’est donc devenu une base de données assez conséquente autour de ma documentation de recherche, mais aussi d’enseignement. Depuis quelque temps je commence à voir des effets de rendement de cet investissement qui ressemblent aux effets décrits par Niklas Luhmann quand il parle de sa boîte à fiches qui constituerait un « deuxième cerveau » (je le mentionne dans le premier billet de la série). Il m’arrive de faire une recherche de mots clés sur un sujet et de tomber sur des notes prises dans un contexte très différent, mais qui s’avèrent bien utile pour la poursuite de la réflexion. L’indexation des fichiers .pdf d’articles fait souvent ressortir par la magie de la recherche intégrale des biais auxquels je n’aurais pas pensé sinon. La quantité de notes transcrites de mes sources primaires et secondaires me permet également de faire des coups de sonde par mot-clé pour tester une nouvelle hypothèse, voir si une impression que j’ai à partir d’une citation semble se confirmer dans l’intégralité de mon corpus. Tout cela est possible, et ce que je dis rejoint une nouvelle fois Luhmann, parce que je sais exactement de quoi est constituée ma base de documentation et que je connais ses limites et ses points forts.

A terme, je suis curieuse de voir si l’exploration de ma base grâce au nouveau plug-in de visualisation Paper Machines peut m’apporter une autre vision de ce que j’ai constitué au fil des années de recherche. Pour l’instant ce n’est pas encore très concluant pour moi, mais il y a clairement un potentiel énorme dans ce domaine.

Je vais terminer ce billet avec ce qui constituera la transition vers le troisième et dernier billet de la série. L’usage que j’ai décrit ci-dessus correspond pour l’essentiel à la phase de collecte d’informations. Dans tout projet, quel que soit sa durée, cette phase initiale est nécessairement suivie d’une phase de tri, d’évaluation et ensuite le passage à la rédaction. J’ai pu peaufiner au fil de mon travail de thèse une utilisation des « tags » de Zotero qui me permet justement d’organiser la masse de données que je rentre dans ma base et ensuite de passer à l’écriture. Elle fera donc l’objet d’un dernier « déballage » de ma « boîte à outils » personnelle.

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25 Comments

  1. C’est vraiment très intéressant, merci! Je vais essayer de mieux tirer parti des potentialités de Zotero.
    Une question m’angoisse toutefois : as-tu une sauvegarde de toutes ces données exportées dans un autre format (au cas où Zotero disparaitrait, ou deviendrait payant, ou que sais-je)?

  2. Je comprends ton angoisse 😉 En choisissant Zotero on peut toutefois relativiser un peu – le code source est librement disponible, ce qui permettrait à tous les bénévoles qui le souhaitent de continuer à le développer et vu que c’est un projet open source financé par un département universitaire et des fondations, ça ne deviendra pas payant comme ça.
    Tout cela ne m’empêche pas de faire des exports de temps en temps pour me rassurer. Ne serait-ce qu’en exportant du Bibtex pour une rédaction sous Latex.

  3. Un commentaire et une question sur cet article intéressant:

    Le commentaire tout d’abord: je me servais déjà des notes attachées aux ouvrages/articles pour indiquer où ils se trouvaient (n° dans mes classeurs pour les photocopies, cote de bibliothèque, indication du type « dans ma biblio personnelle »), ainsi que l’origine de la référence (« repéré dans le nouveau catalogue de l’éditeur », « cité par Une telle (p. 313), qui renvoie à la p. 14 concernant… »). En revanche, je n’avais jamais pensé à noter le statut de l’ouvrage (« parcouru », « lu le premier chapitre », etc) dans une note. Merci pour l’astuce, qui me semble excellente!

    La question: vous ne mentionnez que les notes rattachées à des ouvrages, qu’en est-il de notes plus « transversales », regroupant des informations de divers ouvrages autour d’un même thème? Utilisez-vous également ce type de notes? Si oui, se trouvent-elles également dans votre Zotero? Ou avez-vous un autre système pour ce genre de notes? Ou n’utilisez-vous pas du tout ce genre de notes, au profit d’étiquettes ou de la fonction de recherche de Zotero?

    La question s’adresse non seulement à Franziska Heimburger, mais également à toute autre personne ayant des pratiques, réflexions et conseils sur ce sujet!

  4. Bonjour,

    Question purement technique : j’utilise aussi zotero avec ubuntu. Pour les annotations pdf, j’utilise Foxit Reader sous wine. Seulement quand je les importe via l’application zotfile, elles apparaissent quasiment illisible, genre ça :

    Gernet Louis. Le droit pnal de la Grce ancienne (Introduction de Riccardo Di Donato, en italien ). In: Du chtiment dans la cit.

    Quelle version de Foxit reader utlilisez-vous ? Avez-vous une idée de ce qui peut provoquer ça ?

  5. Bonjour et merci pour les informations.

    1) commenter un pdf: depuis longtemps, j’espère trouver un logiciel efficace pour commenter un pdf, et je pensais l’avoir trouvé avec foxit et okular. Mais en fait, aucun ne m’emballe vraiment, et j’espère encore…
    2) Franziska parle plus haut de bibtex et latex. Je migre de JabRef vers Zotero, et j’ai eu peur de ne pas pouvoir récupérer les clés bibtex utilisées et citées dans mon document, ce qui aurait pu être assez terrible. Si ça vous sert, j’ai trouvé la solution ici (http://forums.zotero.org/discussion/21946/bibtex-citation-key-import-editing-and-export/), ce n’est pas un problème.
    3) Manon, tu peux sans problème synchroniser ta biblio de zotero à un fichier.bib avec l’extension AutoZotBib, ce qui permet de ne pas manipuler toutes ces conversions, sans quoi ce serait complexe. (http://rtwilson.com/academic/autozotbib)

    Enfin, merci aux auteurs de ce blog fort utile !
    Merci aussi d’avoir ajouté le Print Friendly, un petit plus bien utile.

    À bientôt
    Celano
    PS: j’ai vu qu’ils ont même intégré la frise chronologique du projet Simile Timeline. Elle pousse partout celle là! La preuve qu’elle est bien pratique…

  6. Trois réponses en une :

    @ Nicolas Chachereau : ça m’arrive d’utiliser les notes ‘stand-alone’ dans Zotero pour les usages que vous décrivez – par exemple pour faire le point sur l’état de l’art une fois que j’ai rassemblé les références nécessaires dans une collections. Et aussi comme pense-bête du type « Penser à vérifier si cette question n’est vraiment pas traitée dans les ouvrages en langue française ».

    @ Ben Jung : on dirait un problème d’encodage, mais je n’ai pas de solution facile. Une possiblité : soumettre le problème au créateur de zotfile ici http://forums.zotero.org/discussion/5301/6/zotfile-zotero-plugin-to-rename-move-and-attach-pdfs-send-them-to-ipad-extract-pdf-annotations/

    @ Celano Idem pour les pdf – pour l’instant Foxit 5.4.3 sous wine fait ce que je veux, mais ça reste relativement gourmand et lent au démarrage.
    Et pour les questions de Zotero+Bibtex pour latex, on espère encore faire un billet un de ces quatre qui reviendra sur tous les points nécessaires et fera le tour des petits outils bien utiles.

  7. Je reviens sur un ancien billet que je relis avec beaucoup d’intérêt. Je vois, entre autre, que vous emboîté vos recherches enregistrées et ça m’intéresse ! Comment faites-vous ? C’est bête mais je bloque.
    Merci pour votre blog, une vrai source de réflexion.
    Bénédicte

  8. Billet très intéressant!
    Malheureusement une bonne partie des liens internes («dans un précédent billet»…) sont morts. Et le billet lui-même n’apparaît pas dans la catégorie «Zotero». Un comble, vu le sujet 😉

  9. Bonjour,
    Merci mille fois pour cette présentation très précise et utile des usages de Zotero. Cela répond parfaitement aux nombreuses interrogations des jeunes chercheurs, face à la multiplication des outils de gestion de la documentation et des notes.
    Le troisième volet de votre contribution zotero a-t-il été publié quelque part ? Je n’en trouve pas trace, mais serais très intéressé.
    Merci encore.

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