par Frédéric Clavert
[Ceci est un « guest post » de Frédéric Clavert. Historien, il a soutenu sa thèse sur Hjalmar Schacht, financier et diplomate 1930-1950 en 2006 et l’a publiée chez PIE-PeterLang (Bruxelles) en 2009. Après avoir été ATER à l’Université de Strasbourg, il est devenu chercheur, au CVCE (Luxembourg) où il est « responsable scientifique Digital Humanities ». Il est l’un des contributeurs du blog zotero francophone. Voir son site personnel pour plus d’infos.]
Le récent lancement de
Google Plus – pas encore pleinement ouvert à l’ensemble du public –, m’a poussé à reprendre une réflexion, entamée
ici, sur les usages des réseaux sociaux pour chercheurs, particulièrement en histoire.
Quel intérêt ?
La première question à se poser est la suivante : y a-t-il un intérêt pour un chercheur à s’inscrire sur un réseau social ? La réponse est des plus délicates, tant les raisons de s’y inscrire ou de les éviter peuvent être nombreuses, mais, surtout, personnelles. Je propose ici quelques pistes, sans avoir la prétention d’être exhaustif et sans avoir opéré une enquête scientifique auparavant.
- Soigner son identité numérique vis-à-vis des institutions ou personnes – souvent d’autres chercheurs – que votre profil, votre recherche peut intéresser à l’occasion d’une recherche d’emplois, de l’organisation d’un événement scientifique, d’une publication, de la préparation d’une réponse à un appel à projet…
- Mettre en place une réponse à un appel à projet. La recherche étant de plus en plus financée par appels à projets, un réseau social peut être intéressant pour communiquer intensément avec toutes les parties prenantes pendant la phase de préparation du projet de recherche, surtout quand ce dernier implique des chercheurs venant de plusieurs pays ;
- Coordonner un programme de recherche – là-aussi, surtout quand le programme de recherche implique des chercheurs issus de plusieurs pays ;
- Organiser une conférence – pour ma part, je me suis inscrit il y a quelques années sur Facebook, parce que c’était une condition pour participer à une conférence ;
- Garder le contact avec d’autres chercheurs – bien sûr mail et téléphone peuvent suffire mais les réseaux sont un instrument supplémentaire ;
- Articuler une activité sur les réseaux sociaux avec d’autres activités numériques : si vous avez un blog ou un site web d’un autre type, utiliser twitter ou Facebook permet à la fois d’assurer la promotion de votre blog/site et d’en assurer le service après-vente. En clair, la participation aux réseaux sociaux permet de compléter vos activités sur le web. C’est ce qui est pratiqué sur ce site web, dont les deux éditeurs principaux sont présents sur twitter et ont créé un compte twitter pour La Boîte à Outils des historiens : @boite_a_outils. C’est ce que je fais pour le blog zotero francophone avec la création du compte @zfrancophone.
Il existe également des raisons de ne pas aller sur les réseaux sociaux :
- Soigner son identité numérique : ne pas maîtriser (ou ne pas avoir envie de maîtriser) ce que l’on dit sur un réseau social peut être problématique. La solution la plus simple est alors de ne pas s’investir sur les réseaux sociaux. Il existe des moyens moins radicaux, mais complexes : mieux régler ses paramètres de confidentialité. Personnellement, j’ai passé mon compte twitter en « privé » depuis peu, pour garder une certaine liberté de parole et j’ai ouvert un compte « officiel » avec uniquement des propos « raisonnables » (et expurgés de mes tweets sur mes goûts musicaux douteux) ;
- Ne pas risquer de transférer ses droits d’auteur à un opérateur privé : que feront Mendeley, ResearchGATE, Academia.edu des papiers que vous leur avez envoyés ? Il est fort à parier qu’ils utiliseront leur désormais immense base de données de publications pour peaufiner leur modèle économique ;
- D’autres moyens vous suffisent pour mener vos activités de recherche ;
- Le temps. Nous pouvons voir l’intérêt des réseaux sociaux, mais la denrée dont nous avons le plus besoin (après les archives, naturellement) et qui est la plus rare est… le temps.
In fine, le choix de s’investir sur les réseaux sociaux est largement personnel, en fonction de nos intérêts et de nos pratiques de recherche.
Mais une fois que la décision est prise, une difficulté apparaît : sur quel réseau social aller ? Ils sont légions et il n’est pas conseillé de se disperser – contrairement à votre serviteur qui s’est rendu compte lors de la rédaction de cet article qu’il était inscrit sur onze réseaux sociaux différents… ce qui est rigoureusement inutile et ne s’explique que par la volonté de tout tester et le soin apporté à cultiver son image d’historien geek.
Quel réseau social ?
Pour choisir un réseau social efficace pour ses recherches et ses activités liées à la recherche, il existe un premier niveau de choix entre trois types de réseaux sociaux : les généralistes (
Facebook,
Twitter,
LinkedIn,
Viadeo,
Google Plus et le très embryonnaire
diaspora…), les spécialistes de la recherche (
Mendeley,
ResearchGate,
zotero,
Academia.edu, etc) ou, encore, ceux qui tentent une interface recherche/société (le Français
Knowtex, par exemple).
Dans le premier cas – les réseaux sociaux généralistes – il n’est pas très compliqué de gérer une multitude d’inscription grâce à des outils dédiés, parfois gratuits, comme les logiciels Tweetdeck, Seesmic, Yoono… Si l’on fait le choix (non exclusif avec le premier) de s’inscrire sur un réseau social spécialisé pour les chercheurs (ou la communication chercheurs-société), la gestion d’inscriptions multiples est plus complexe, puisqu’il n’existe pas de logiciels assurant la gestion de ses multiples identités. Il faut alors analyser précisément, bien plus précisément qu’avec les réseaux généralistes, les fonctionnalités, qui ne se recoupent pas toutes, de ces divers réseaux. Il faudra choisir celui qui correspond le mieux à vos besoins.
Le second niveau de choix est comme l’enfer : c’est les autres. S’inscrire sur Facebook si une majorité de vos contacts sont sur twitter ou choisir Mendeley si zotero est plus utilisé par vos collègues n’a pas beaucoup d’intérêt. Au-delà de vos collègues, l’environnement global d’un réseau social est important : Facebook, par exemple, peut engendrer beaucoup de bruit, d’infopollution. Pour limiter le bruit, s’orienter vers des réseaux pour chercheurs ou des réseaux pour « professionnels » comme LinkedIn peut être une bonne solution. En outre, dans le cas des réseaux sociaux spécialisés pour les chercheurs, certaines fonctionnalités ajoutent un plus indéniable, surtout quand elles touchent la gestion des références bibliographiques (Mendeley et zotero, même si les fonctionnalités de réseau social de ce dernier ne sont pas encore très nombreuse).
Le troisième niveau de choix me semble être les paramètres de confidentialité et leur maîtrise. Ce qui nécessite une lecture attentive des conditions d’utilisation et une compréhension assez fine des paramétrages possibles. Disapora et Google Plus en ont fait le cœur de leur fonctionnement, avec la notion d’aspects ou de cercles. Facebook se situe plutôt du côté obscur, encourageant, avec des changements de paramétrages réguliers, le « tout public ». Outre la confidentialité, il est utile de regarder si ces réseaux vous permettent de récupérer ce que vous y avez publié. C’est la fameuse « libération des données » – campagne très marketing de Google. Cette fonctionnalité est disponible sur Google +, mais également, si vous souhaitez fermer votre compte, sur Facebook. Je n’ai cependant pas testé ces options et ne peut donner de garantie sur leurs performances. Twitter – à ma connaissance – ne le propose pas, mais il existe des services sur le web qui peuvent archiver vos tweets. Je ne le conseille toutefois pas, car cela implique de se relancer dans la lecture des conditions générales du site d’archivage, ce qui est long et fastidieux.
Comment intervenir sur les réseaux sociaux ?
Une fois ces choix opérés, vient l’inscription. Mieux vaut bien définir son profil, le remplir le mieux possible, afin de limiter les demandes de contacts exotiques qui risquent d’accroître le bruit et les messages indésirables – auxquels vous n’échapperez néanmoins pas.
Ensuite, la plupart des sites vous offriront de rechercher automatiquement des contacts. À vous de savoir si vous voulez laisser twitter ou Mendeley accéder à vos contacts stockés sur votre compte e-mail. C’est pratique, mais le risque est de laisser ces réseaux envoyer en votre nom des courriers électroniques à vos contacts mails qui ne sont pas encore inscrits chez eux : il faut alors attentivement lire les messages qui s’affichent sur votre écran pendant cette étape. Troisième phase, il faudra, bien sûr, se pencher sur les paramètres de confidentialités.
Enfin, avant de participer plus amplement au réseau social, une petite période d’observation du comportement des autres est utile. Puis, il faudra se lancer et c’est à ce moment-là que vous saurez si vous avez fait les bons choix. Dans la plupart des cas, les comptes peuvent être effacés… mais parfois avec de grandes difficultés.
*
Si vos choix ont été les bons, je peux toutefois vous dire que le temps consacré à un ou quelques réseaux sociaux sera largement compensé par les bénéfices que vous en retirerez. Pour ne parler que de mon cas, grâce à Twitter – outre le fait que je n’aurais sans doute jamais publié cet article sur ce site, puisque je connais ses deux éditeurs via ce réseau social – j’ai rencontré autant de chercheurs qu’en participant ou organisant des colloques.
Ces contacts « virtuels » sont complémentaires des relations nouées pendant les colloques. Ils ont étendu mon horizon scientifique, accentuant son interdisciplinarité, me poussant à discuter de préoccupations communes (l’évaluation de la recherche, par exemple) avec des biologistes, à parler interdisciplinarité avec des sociologues – et, là où j’ai fait mes études, ce dialogue est quasiment impossible -, à m’investir dans les Humanités numériques en développant des liens avec des chercheurs de nombreux pays. Et ces contacts sont durables et solides. En outre, cette activité sur les réseaux sociaux est très complémentaire de mes autres agissements sur le net. Elles complètent mon site personnel et le blog zotero francophone. C’est également ce que font Émilien et Franziska avec La Boîte à outils. Ce sera vraisemblablement l’objet d’un autre post.